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Covid-19 07.05.2021

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Rémunération des chefs en période de pandémie

Nul besoin de s’étendre sur le sujet : nous vivons tous des moments très particuliers. Aussi dans le monde choral où nos pratiques collectives sont fortement touchées. Il y aurait certainement beaucoup à écrire sur tout ce que la crise sanitaire révèle de notre société et en particulier de notre rapport à la culture et à ceux qui la font vivre.

Comme d’autres, le comité d’A Cœur Joie Suisse s’est interrogé en particulier sur les conséquences directes ou indirectes de la pandémie sur les chef.fe.s de chœur. Avec d’autres associations, nous partageons la conviction que le succès des chœurs repose d’abord sur les qualités et les compétences de celles et ceux qui les dirigent.

Co-président du mouvement A Cœur Joie, choriste dans un chœur amateur, je ne suis en rien concerné personnellement par les questions de statut et de rémunération des chef.fe.s. Cependant, à titre personnel d’abord, j’ai été très interpelé par ces questions, surtout lorsque j’ai appris que des chef.fe.s n’étaient plus rémunérés du tout depuis les décisions du Conseil fédéral qui ont entrainé l’arrêt complet des activités chorales.

Par les lignes qui suivent, j’expose donc les réflexions personnelles d’un ancien cadre de la fonction publique dont le travail a notamment consisté à s’interroger sur le statut des directeurs et directrices, non pas de chœurs mais d’écoles. Sur certains points, on peut en effet constater certaines analogies entre les deux fonctions. Ces analogies ont naturellement nourri mon questionnement.

Pendant longtemps, la fonction de direction dans une école n’était pas confiée à un professionnel ou une professionnelle. Ce cas de figure existe par ailleurs encore peu ou prou dans certains cantons. Au cours des dernières décennies, cette fonction de direction s’est peu à peu professionnalisée. Les personnes exerçant ces responsabilités, le plus souvent des enseignants à l’origine, se sont formés à l’exercice de ce rôle spécifique perçu comme assez fondamentalement différent de leur métier de base. Alors qu’ils étaient d’abord indemnisés, ces cadres de direction ont peu à peu acquis un statut et une rémunération tenant compte de leur niveau de formation et de responsabilité. Il est ainsi légitime de déclarer que la fonction de directeur ou de directrice d’école est devenu une profession.

Ce processus de professionnalisation a touché de nombreux secteurs d’activité, notamment le secteur de la santé. Ce processus est aussi en cours dans le monde choral. De plus en plus, les chœurs sont dirigés par des professionnel.le.s qui ont le plus souvent une formation de base de musicien.ne.s qu’ils ou elles ont complété par une formation exigeante de chef.fe de chœur. D’aucuns peuvent le regretter mais ma conviction est que cette évolution est en phase avec l’élévation globale des compétences que nous pouvons constater dans notre société.

La formation est de haut niveau, les compétences sont le plus souvent avérées. Le plaisir des chanteurs et les progrès réalisés par les chœurs en attestent. Mais qu’en est-il de la reconnaissance due à ces professionnel.le.s de la direction de chœur ? Cette reconnaissance passe notamment par le statut offert à ces personnes et plus précisément par le niveau de protection sociale qui leur offert. Force nous est de constater que la pandémie a mis en lumière la très grande diversité des statuts des chef.fe.s.

Dans le monde choral amateur, pour ne parler que de ce secteur, les comités des chœurs représentent les employeurs des chef.fe.s ou ils représentent leurs clients si les chef.fe.s ont obtenu un statut d’indépendant. Ces comités ont à cœur de permettre à leur chœur de vivre malgré les budgets modestes dont ils disposent. Surtout ils veulent permettre aux chanteurs et chanteuses intéressé.e.s de partager la joie de chanter en maintenant des cotisations souvent très bases, sans rapport avec les prix demandés pour d’autres activités de loisirs. Dans le même temps, ces comités ont le souci que leur chœur soit dirigé par un chef ou une cheffe compétent.

Dans un tel contexte, la rémunération du chef ou de la cheffe représente une part importante de leur budget et il est évident que les conditions financières offertes pour les chef.fe.s font l’objet d’une attention particulière. Avec parfois des dispositions étranges qui ont pour conséquence par exemple que si une activité telle qu’une répétition ne peut se dérouler cela entraine la suppression de la rémunération, sans que cela soit de la responsabilité du chef ou de la cheffe.

Loin de moi l’intention de jeter la pierre à qui que ce soit. Surtout pas aux membres des comités qui doivent faire face à de grandes attentes des membres des sociétés et doivent aussi composer avec les complications administratives. Avec la reconnaissance que vous savez…

Cependant, est-ce parce qu’une personne est passionnée par la fonction qu’elle exerce au profit d’un collectif, parce qu’elle fait ce qu’elle aime, qu’elle n’a pas droit à une juste rémunération et à une protection sociale digne de ce nom ? Surtout en cas de situation extrême comme nous la connaissons actuellement ? Est-ce parce que le secteur du chant amateur bénéfice d’un bien moindre soutien par les fonds publics que le sport amateur par exemple que nos chef.fe.s, comme les artistes en général, ne doivent pas être rémunérés de façon à leur permettre de vivre décemment de leur activité professionnelle ?

S’interroger sur le statut de nos chef.fe.s, c’est interroger aussi notre rapport à la culture. Par les restrictions qu’elle nous impose et les dégâts qu’elle provoque dans le secteur culturel, la pandémie nous permet de mieux apprécier l’importance du soutien que nous devons accorder à celles et ceux qui ont nous permettent de vivre des activités culturelles porteuses de sens, activités dont nous avons été largement privés.

Pierre Jaccard Co-président A Cœur Joie Suisse