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Fribourg 17.07.2024

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TuttiCanti 2024

Fête cantonale de la Fédération fribourgeoise des chorales : Tutticanti 2024
Wünnewil ? La majorité des fribourgeois ne savait pas où était ce village. La majorité des fribourgeois étant choriste, elle le sait maintenant. Elle le sait et va s’en souvenir.  
Cette commune de 5.650 habitants, située dans le district germanophone de la Singine a accueilli les choristes fribourgeois qui s’y sont rencontrés, du 29 mai au 2 juin 2024.

Ateliers
Aux côtés des traditionnels passages devant jury et des concerts sur différents podiums en plein air, c’est probablement le côté le plus impressionnant de cette fête. Seize ateliers ont pu être organisés, donnant aux choristes la possibilité d’aborder un répertoire dont ils ne sont pas forcément coutumiers.
Les « ateliers spontanés » ne réclamaient ni inscription ni répétition préalable. Les choristes intéressés ont pu se rendre chez Manuela Dorthe qui accueillait parents, grands-parents et les petits pour chanter ensemble. Le musicologue Jean-Yves Haymoz proposait d’initier les choristes au contrepoint improvisé en duos, trios et canons tel que cela se pratiquait couramment à la Renaissance. Hajatiana Rakotozafy et Joseph Senghor ont fait voyager les participants au travers des musiques de Madagascar et du Sénégal tandis que Maria-Antonietta Mollica s’occupait de pose de voix. Erwin Buba Bertschy posait les bases du Yodel et Pacal Mayer faisait déchiffrer les pièces du « Song Book » publié pour cette occasion. Chaque concert commençait d’ailleurs par l’interprétation de l’un de ces chants, par toute l’assemblée, initiative originale et bienvenue. Outre ces ateliers spontanés, des ateliers semi-spontanés et des ateliers de longue haleine ont permis aux choristes de se réunir en amont de la fête afin de préparer des concerts spécifiques dont vous pouvez lire les comptes-rendus ci-dessous. Chacun d’entre eux (hormis les messes) ont été présentés deux fois. Bien évidemment, les chœurs ont également pu présenter leur programme devant jury, avec retour oral sur leur prestation et se sont produits en plein air à différents endroits du village. Le public a pu également assister à la finale cantonale du concours de chant du 1er mai. Cette magnifique tradition fribourgeoise du premier mai, où les enfants vont chanter de porte en porte, a été magnifiée par la fédération fribourgeoise en permettant aux chanteurs en herbe de se produire devant un jury dans différents coins du canton. Lors de Tutticanti 2024, les candidats sélectionnés par région ont pu s’affronter dans d’amicales joutes. Les lauréates et lauréats, en plus d’un bon d’achat, reçoivent 4 séances d’éducation vocale et chorale dispensées par des chanteur.euse.s professionnel.le.s.

Messes
Le premier jour de Tutticanti étant sur le même calendrier que la Fête-Dieu, il était naturel que tout commence par une messe. Les chœurs inscrit pour cet atelier y ont interprété la célèbre Messe brève n°7 dite « aux chapelles » de Charles Gounod, sous la direction de Jürg Schwedimann. Le dernier jour de Tutticanti étant un dimanche, le même chef a dirigé l’atelier consacré à la Messe brève de Léo Delibes. Les choristes, accompagnés par la Pfarreimusik Wünnewil-Flamatt, y ont également créé une œuvre commandée spécialement pour l’occasion : Alles ist beginn de Manfred Jungo ainsi qu’une pièce de l’abbé Kaelin « Jamais, plus jamais la guerre », titre répété plusieurs fois en guise de prière par l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Monseigneur Charles Morérod, qui officiait en ce jour.

A soli dei gloria
Bach :     Cantate BWV 142 « Uns ist ein Kind geboren »
    Cantate BWV 147 « Herz und Mund und Tat und Leben »
Que du bonheur ! Bernard Maillard, dont le charisme de chef de chœur est reconnu à la ronde, transmet à merveille son enthousiasme aux choristes. Bach, ce n’est jamais gagné. Il faut s’investir à fond dans chaque phrase et le chef fait florès. Il réussit à faire « phraser baroque » l’Orchestre de Chambre de Fribourg dont cette musique n’est pas le pain quotidien. Les solistes Kathrin Hottiger, soprano, Annina Haug, alto, Jonathan Spicher, ténor et Jean-Luc Waeber, basse ne sont pas en reste, totalement investis par ces pages sublimes.

Femmes – Les chants de la Vigne
Comme déjà dit, tous les auditeurs ont reçu un « Song Book » publié pour l’évènement. Chaque concert d’atelier commence par l’un de ces chants, prélude à ce qui va suivre. Superbe : le public (constitué essentiellement de choristes) sait lire (ou a participé à l’atelier lecture du Song Book avec Pascal Mayer) et l’on peut chanter directement à 4 voix.
Un atelier constitué de voix féminines ouvre les feux avec « Femmes », de Jean Mamie. Puis c’est au tour de l’atelier « les chants de la Vigne », dans lequel les hommes interprètent une suite d’Henri Baeriswyl. Deux compositeurs que réunit le souci d’une écriture raffinée, claire et subtile.
Les formations « chambristes » permettent de bien jouer avec les textes (d’Yvette Kummer, côté « Femmes » et de Guy Sansonnens pour « les chants de la vigne », distillés par ces messieurs. Céline Latour-Monnier et Daniel Brodard dirigent respectivement ces ateliers, avec l’accompagnement complice de Valentin Villard au piano. Deux chef.fe.s que réunit l’excellence. Dominique Pasquier remporte tous les suffrages, en récitant expressif, vivant et drôle.


Die Schöpfung
L’église de Wünnewil n’a jamais dû voir en ses murs autant de fidèles. Ils sont venus écouter le récit de la Genèse transcendé par Joseph Haydn. Dans les nombreux soli,  Jean-Luc Waeber ne chante pas, il raconte, il joue, aidé en cela par une technique vocale sans failles. Jonathan Spicher impressionne par la facilité de ses aigus et la clarté de son timbre tandis que la rondeur sensuelle du soprano de Charlotte Müller-Perrier donne des frissons. Un pianoforte subtil commente l’action, nous ne sommes pas loin de l’opéra.
Les pages chorales de ce magnifique oratorio de Joseph Haydn sont truffées de difficultés techniques qui ne sont pas forcément à la portée du premier choriste venu. Il fallait compter sur le travail de l’orfèvre qu’est Gonzague Monney, lequel sait faire ressortir de magnifiques couleurs des choristes et de l’orchestre de chambre de Fribourg.

La vie secrète des pirates
Les petits choristes alémaniques ont travaillé chacun de leur côté et se sont réunis pour travailler ensemble le jour même du concert. S’il s’agissait d’un simple concert, ce serait déjà une gageure, mais là, il s’agit carrément d’une comédie musicale, avec des mouvements scéniques et des dialogues parlés… Pour parvenir dans ces conditions à présenter quelque chose qui tienne la route, il fallait avoir une foi qui soulève des montagnes ! Nicole Schafer et Maik Zosso l’ont eue. Ils ont présenté un spectacle dans lequel il n’y a aucune hésitation, aucun temps mort, une énergie à couper le souffle.


Singe mer tous in kà
Quoi ? Comment ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Eh oui, le titre réunit deux langues fribourgeoises que les autres cantons peinent à comprendre : le singinois et le patois gruérien. Chantons tous en chœur. À noter que kà veut aussi bien dire chœur que cœur. Les deux conviennent parfaitement pour ce concert. L’excellente idée de cet atelier a été de commander de nouvelles œuvres pour chœur d’enfants à des compositeurs établis dans le canton de Fribourg. Sous la direction d’Anne Steulet-Brown et de Jocelyne Crausaz, les enfants étaient accompagnés par le Young Harmonic Band de Belfaux. Il est très agréable de constater que tant de jeunes s’adonnent à la musique avec tant de talent !


Le berger de lumières
Là aussi, les enfants sont à l’honneur.  Plusieurs chœurs d’enfants rassemblés pour nous faire découvrir cette belle suite de Roger Calmel sur un texte de Didier Rimaud. Pas évidente avec ses fréquentes modulations, la partition réclame une attention auditive de tous les instants. Coup de chapeau aux quelques 150 enfants qui relèvent les nombreux défis de cette musique, accompagnés par un ensemble instrumental (flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle, piano et percussion). Jean-Louis Raemy dirige l’œuvre en captivant les jeunes, réussissant à obtenir des nuances incroyables. Un concert exigeant qui prouve avec bonheur que les enfants aiment chanter des musiques de grande qualité !


Jubilate
Le Jubilate Deo de Dan Forrest est une œuvre sacrée pleine de vie et riche dans sa variété de couleurs musicales. Afin de souligner l'universalité présente dans l'injonction "Jubilate Deo omnis terra", le compositeur américain fait côtoyer 6 cultures différentes ainsi que leur langue et musique respectives à savoir : l'arabe, l'hébreu, le mandarin, le latin, l'anglais et le zulu. Le tout est accompagné d'un grand orchestre classique (40 musiciens) avec quelques instruments originaux tels que l’ehru, le djembé, le marimba ou le clavecin.
Il comprend 7 mouvements, avec des parties solistes pour soprano et alto, dont certains sont chantés par un chœur d'enfants (ici, l’excellent chœur « l’Annonciade »).
Dès le départ, Fabien Volery insuffle une énergie qui oblige les choristes à se donner à fond. Ça prend les tripes, le public retient son souffle.
Les impressionnant graves d’Annina Haug, mezzo, ouvrent les portes du deuxième mouvement vers un univers de douce prière. La soprano Anne Montandon.  nous envoûte par la richesse de son timbre. Le troisième mouvement poursuit la méditation dans un style assez proche du mouvement lent des Chichester Psalms de Bernstein.
S’ensuit une rupture stylistique très nette, aux couleurs africaines. Il pleut sur Wünnewil, mais le soleil des voix met le public en joie. Après un sixième mouvement délicieusement kitsch, l’orchestre entame un pétillant final, le chœur exulte. Le public lâche une émotion palpable depuis le début du concert par un tonnerre d’applaudissements. Un triomphe bien mérité !


Misa Tango
Six mouvements d’une messe traditionnelle, avec les textes idoines en latin-grec. Jusque-là, pas de quoi effrayer une grenouille de bénitier. Mais dès les premiers accords, on sent que l’on va naviguer vers des contrées inexplorées par notre grenouille. On est en effet loin des messes scribouillées par des séminaristes et publiées dans les « chants notés de l’assemblée » ! Y aurait-il dichotomie entre la sensualité du tango et la chasteté souvent prônée comme vertu par l’église catholique romaine ?
Créée il y a 20 ans par le compositeur argentin Martín Palmeri, Misa Tango est une messe chorale sur des sonorités, des harmonies et les rythmes typiques du Tango. Le compositeur introduit en outre l’instrument emblématique du tango, le bandonéon, soliste (excellent Alain Ray) aux côtés d’un orchestre à cordes (violons, altos, violoncelles et contrebasse) et du piano. Une partie de mezzo-soprano solo vient ponctuer l’œuvre, répondant au chœur mixte. Elle est assurée par Véronique Valdès, remarquable par son engagement musical et l’homogénéité de sa voix chaleureuse. De la sensualité, oui, il y en a beaucoup dans cette musique. De la vulgarité ? Jamais. Notre grenouille de bénitier s’en remettra !

Thierry Dagon